L’imam al-Shâfi’i

Abou Abdillah Muhammad ibn Idrîs est né en 150 de l’hégire (772 de l’ère grégorienne) à Gaza en Palestine, le jour de la mort de l’imam Abou Hanifa. Il est issu de la noble lignée des Banu Hâshim, tout comme le Prophète (salaLlahu ‘alayhi wa salam). Il fut appelé « Nâsir al-Sunna » (Secoureur de la Tradition prophétique) et le « soleil des juristes ».

Il perdit son père avant de le connaître, et sa mère prit l’intelligente initiative d’émigrer à la Mecque, terre de ses ancêtres et haut lieu du savoir. Elle était très attentive à son éducation religieuse, et l’encourageait à apprendre auprès des meilleurs maîtres.  Il apprit le Coran par cœur à l’âge de sept ans, puis il se rendit à Médine pour suivre les cercles de l’imam Malik et étudia entièrement son Mouwatta à 10 ans.

Dans l’optique d’étancher sa soif de connaissances et de diversifier son savoir, et probablement incité par sa mère, il rejoignit la tribu bédouine des Banu Hudhayl, connue pour son excellente maitrise de la langue arabe. Il les accompagna pendant 17 ans durant lesquels il apprit la poésie et la prose, il s’imprégna de leur éloquence et put acquérir une maitrise exceptionnelle de la langue arabe. Il a d’ailleurs composé de nombreux poèmes qui ont été collectés par la suite dans un ouvrage intitulé « Al-Diwân ».

Pour subvenir à ses besoins, al-Shâfi’i parvint à occuper la fonction de juge dans la province de Najran (en Arabie Saoudite) où jamais il ne faillit à ses devoirs envers la population qui l’appréciait énormément. Son intransigeance suscita la jalousie de personnes malintentionnées et il fut révoqué de son poste. Il dut comparaitre devant le calife de l’époque, Haroun al-Rashid, soupçonné d’avoir comploté contre lui. Il fut relaxé après avoir défendu avec éloquence sa loyauté envers le calife qui fut tellement impressionné qu’il le plaça sous sa protection.

Il se rendit ensuite deux fois à Bagdad quelques années avant de s’installer en Egypte pour apprendre auprès de l’imam al-Layth, élève de l’imam Malik. Malheureusement, il décéda avant son arrivée mais al-Shafi’i étudia ses rites auprès de ses élèves et instaura ses raisonnements. Il rédigea alors le recueil « Al-Oum » (L’Essence), où il intégra le fiqh de l’imam al-Layth à sa propre école, avec des nouveaux hadiths et des positions légales revues. Il fut également le premier à systématiser les fondements du fiqh, « ousoul al-fiqh », dans son livre « Al-Risâla ». Ibn Khaldûn, le célèbre historien, fera plus tard cette brillante comparaison : « L’attribution des  fondements du fiqh à al-Shâfi’i est semblable à l’attribution de la logique à Aristote ».

En Egypte, il fut une bouffée d’oxygène pour les traditionnistes face aux partisans du « kalâm » (science de la rhétorique) qui s’était développé à son époque. Il leur enseigna l’art et la manière de débattre avec eux avec des preuves solides.

Il était connu pour sa modestie et son amour de la vérité même si elle se trouvait du côté de ses adversaires. Il disait : « Jamais je n’ai engagé de débat avec une personne sans avoir l’intention sincère de lui porter bon conseil ».

Nous suffisent les témoignages emplis d’amour et de respect de ses disciples qui le côtoyèrent et apprirent de lui. L’imam Ahmad ibn Hanbal, fondateur de l’école hanbalite qui a suivi fidèlement les classes d’al-Shâfi’i, dira à son fils : « Al-Shâfi`î était ce que le soleil est pour le jour et ce que la bonne santé est pour les gens ». Il disait également au sujet de son savoir inégalable : « Personne ne touche un encrier ou une plume sans qu’il ne soit redevable de quelque chose à al-Shâfi’i ».

Abu Nu’aym Al-Astrabâdhi a rapporté d’Ar-Rabi’ : « Si tu voyais Al-Shâfi’i, son éloquence et son beau parler, tu en serais étonné. Et s’il avait écrit ses livres avec la langue arabe qu’il utilisait lors de nos débats, personne n’aurait pu les lire, en raison de sa grande éloquence et de la rareté de certaines de ses expressions. Cependant, il s’efforçait de faire en sorte que ses œuvres puissent être lues par n’importe qui ».

Fondements de l’école shaféite

Le madhhab de l’imam al-Shâfi’i est réputé pour être le plus conservateur des 4 écoles de jurisprudence, cependant de nombreux partisans gardent une certaine liberté dans leur pratique. Tout comme ses deux prédécesseurs, le rite shaféite est basé sur le Coran, la Sunna du Prophète (salaLlahu ‘alayhi wa salam), le consensus, l’analogie (bien qu’il en ait limité l’utilisation), et les avis des Compagnons, en particulier les quatre premiers califes. Et bien qu’il soit une autorité reconnue dans l’authentification des traditions prophétiques, il n’avait pas les mêmes critères que Malik et Abou Hanifa dont il a rejeté certains des principes. Ainsi, si le hadith ne présente aucune défaillance, il est accepté même s’il n’est pas conforme aux actes des médinois, comme l’imam Malik l’exigeait. Al-Shâfi’i ne prend donc pas en compte les coutumes des habitants de Médine, invalide la règle de l’intérêt absolu, et rejette en bloc l’opinion personnelle.

Son école se répandit grâce aux nombreux voyages de ses disciples, elle est ainsi aujourd’hui pratiquée par environ le quart de la population musulmane mondiale, principalement en Afrique de l’Est, dans la péninsule arabique, et en Asie du Sud-Est. C’est le rite officiel du Sultanat de Brunei et de la Malaisie.

Nous ne pouvions conclure sa biographie sans partager ces quelques vers attribués à l’imam :

Tu quittes déjà ce bas monde sans que tu en sois conscient

Si la nuit te couvre, seras-tu encore au jour montant?

D’ailleurs combien de bien portants sont morts sans mal apparent

Combien de malades, un moment d’éternité, survécurent pourtant

Combien de jeunes se sont couchés puis réveillés souriants

Et dans l’invisible, à leur insu, leur linceul se tissant

Quand bien même un homme vivrait mille et plus de deux mille ans

Un jour ou l’autre, vers la tombe, il ira inéluctablement…

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