Ces derniers jours ont sonné le retour en fanfare d’un climat social délétère : emploi du terme « séparatisme » à tort et à travers comme nouvel élément de langage de notre « élite » toujours prompte à innover en matière de bon mot discriminant et anxiogène (une ola collective pour le petit dernier, « ensauvagement », que l’on aurait presqu’envie d’adopter) ; empiètement massif sur notre liberté éducative en sonnant à nouveau le glas de l’IEF (instruction en famille) ; et enfin – cerise sur le minaret – ça perquisitionne à gogo parmi nos coreligionnaires musulmans.
Sommaire
Le séparatisme pour les nuls
Je ne le ferai pas de façon aussi brillante que le politologue Clément Viktorovitch, mais j’aimerais attirer votre attention sur la nouvelle sémantique rabâchée à longueur de journée dans les médias mainstream.
Pour commencer, parlons du « séparatisme », un nouveau –isme qui fait son entrée par la grande porte auprès des indémodables « islamisme, intégrisme, fondamentalisme, terrorisme ». Tellement populaire auprès des hommes politiques qu’il pourrait même porter le nom d’un projet de loi. Sympa, non ?
Mais qu’est-ce que le séparatisme ? Le Larousse nous donne cette définition : « Attitude, tendance à sortir d’un ensemble national et à former une entité politique distincte de l’État d’origine. »
Popopo ! On n’est pas dans un scénario des Avengers mais pas loin ! Pour changer du galvaudé “communautarisme”, ce nouveau mot permet de visualiser l’idée qu’une « certaine frange de la population » (vous savez, celle qui crie des « Allah Akbar ! » comme si elle était touchée par le syndrome de Gille de la Tourette) aurait le projet conscient de diviser, de se mettre en marge et de créer un nouveau système politique d’organisation du pays en ne respectant plus les lois de la République. On ne dit pas encore « théorie du grand remplacement » mais on place quand même ses cavaliers sur l’échiquier, pas vrai.
Poursuivons. Top ! Je-suis-le-nouveau-combo-gagnant-qui-rime-avec-musulman : je suis… Pas facile je sais ! Accueillons chaleureusement « l’ensauvagement » ! Sur cette nouvelle marotte qui fleure bon l’extrême droite je vous invite à lire cet excellent article.
Au-delà d’une distinction de classe sociale on entre carrément dans une hiérarchie d’espèces, cataloguant l’autre de « sauvage ». Celui-là même qui n’est que violence, bestialité et représente un danger pour la bonne société civilisée (blanche et de racine judéo-chrétienne ne nous le cachons pas). Et que fait-on avec cet enragé, ce quasi animal indompté ? On doit le soumettre, le dresser, l’enfermer ou pire… le piquer ! Un bon relent de colonialisme et de paternalisme additionné d’une sacrée dose de condescendance et de mépris ! Oui car les mots ont du sens et pèsent lourdement sur le vivre-ensemble.
Ce champ lexical n’est pas anodin et est le miroir manichéen d’un rapport de force fantasmé entre deux prétendues visions de la société qui s’affronteraient. Le force obscure des séparatistes et des ensauvagés qui chercheraient à s’immiscer dans chaque brèche de la société pour la pilonner de l’intérieur (avec leurs voiles, leurs barbes (enfin pas celle des hispter), leurs jupes trop longues, leurs demande de créneaux de piscine, leurs douches en caleçon ou leur école à la maison)… face aux autres porteurs des VRAIES valeurs républicaines.
Liberté d’éduquer remise en question avec la fin de l’IEF
Dès septembre 2021, l’IEF ne serait donc plus autorisée SAUF pour raison médicale. Instruction à domicile autorisée aux seuls enfants qui auraient souvent le plus envie et besoin de vivre dans un cadre normalisé pour se réapproprier leur vie d’enfant, de retrouver un équilibre et d’avoir des interactions hors milieux hospitalier et familial. Ceux dont les parents se battent au quotidien pour pouvoir scolariser leurs petits : mais ça demande de la formation, du personnel, des aménagements, etc. Et ça, l’Education Nationale n’est pas vraiment encline à se pencher sur ce vrai souci. Alors qu’il est tellement plus facile de légiférer sur des problèmes qui n’en sont pas, n’est-ce pas ?
Le hic dans tout ça ? Les “séparatistes” pratiquant l’école à la maison ne sont pas que musulmans et là ça coince. Une levée de boucliers générale a logiquement fait suite à ce nouveau grignotage liberticide : après l’atteinte de plus en plus en plus flagrante à notre liberté de conscience, c’est notre liberté éducative qui est visée.
La démarche est claire : faire rentrer dans le cadre tous ceux qui font le choix de vivre autrement et qui pensent différemment de la majorité avalisée ; donner aux enfants une vision du monde uniforme laïciste (on sait aussi user des -iste ici) en interférant sur le rôle formateur des parents.
Mon regret est que nos concitoyens ne s’indignent que peu face à l’islamophobie qui oeuvre au grand jour jusqu’aux plus hauts sommets de l’Etat. Et le problème est qu’à laisser passer les injustices quand elles ne nous concernent pas, on se retrouve seuls et démunis quand on s’y retrouve confrontés à son tour. A relire le fameux texte “Je n’ai rien dit…” du pasteur Martin Niemöller.
Perquisitions chez les musulmans
Suite logique de tout cela ? Bien entendu, les choses vont plus loin avec un contrôle plus strict des écoles confessionnelles musulmanes, des tentatives de les fermer ou d’empêcher leur ouverture sous des prétextes fallacieux ; l’interférence dans les associations islamiques en leur mettant des bâtons dans les roues ; un soupçon généralisé sur l’ensemble des activités tenues par des musulmans. L’ensemble des musulmans sont suspects, quelles que soient leurs sphères d’action (dans le sport, les études, leur engagement associatif, etc.) Déjà en 2015, des dizaines de perquisitions musclées avaient été commises chez des responsables musulmans mais aussi chez des citoyens lambda. Et aujourd’hui on replonge de nouveau dans l’humiliation, la suspicion généralisée et les traitements injustes des musulmans avec à nouveau la multiplication de contrôles inopinés et injustifiés (plusieurs écoles confessionnelles islamiques, associations musulmanes, mosquées, pompes funèbres musulmanes ont déjà été visées).
S’il est nécessaire de surveiller dérives sectaires de tous bords et de démanteler les écoles clandestines, pourquoi mettre sous le feu des projecteurs l’ensemble des musulmans, en clamant qu’ils sont anormaux et problématiques et en jouant le jeu de la stigmatisation et des amalgames ? Parce que ça rapporte en terme de votes, parce que ça fait vendre des torchons qui se disent être des journaux d’information, parce qu’on est dans une société du buzz qui joue sur les leviers du populisme et de l’émotion.
Répéter inlassablement un mensonge n’en fait pas une vérité mais il en reste des traces indélébiles dans les esprits les plus crédules. C’est un peu le principe de la propagande en fait.
Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais je me sens en pleine dystopie, un genre de 1984 de Georges Orwell. La réalité rejoint la fiction, le monde que je connaissais s’effondre et on est en pleine paranoïa collective. Au lieu de rester unis et de nous battre ensemble pour notre liberté, le respect de chacun et pour construire une société sur les bases de la richesse de notre altérité et de nos différences, on est en train de basculer subrepticement dans la haine, un dogmatisme d’état et la dictature de la pensée unique.