Nous avons eu le privilège et le plaisir de rencontrer la talentueuse réalisatrice de films, Mai MASRI, dont le film 3000 nuits est sorti le 4 janvier 2017. A la rédaction on a été extrêmement émues par ce film engagé et touchant, qui parle à nos cœurs de femmes et de mères tout en faisant appel à notre devoir de conscience concernant la détention des Palestiniens dans les prisons israéliennes.
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Bonjour, Mai MASRI. Tout d’abord merci d’avoir accepté de répondre à Imane Magazine. Première question : finalement, qui est Layal ? Que représente son histoire ?
L’histoire de Layal m’a été inspirée par l’histoire vraie d’une femme qui m’a fait le récit poignant de sa détention. Elle a été emprisonnée en Israël et m’a raconté qu’elle avait eu son enfant en prison. Cela m’a beaucoup touché. Moi qui devenais mère à cette même époque, j’ai été embarquée par la force dramatique de cette histoire et je me suis imaginée la difficulté d’élever un enfant derrière les barreaux, dans ces conditions. J’ai alors commencé à faire des recherches sur les femmes prisonnières, et particulièrement celles qui ont eu leur enfant dans les prisons israéliennes.
En visionnant ce film, c’est vrai qu’on est vraiment déchirées par ce petit garçon, Nour, qui naît et grandit en univers carcéral : est-ce que beaucoup d’enfants sont emprisonnés en Israël ?
En ce moment il y a beaucoup d’enfants palestiniens qui sont emprisonnés et il y en a de plus en plus malheureusement. Des milliers ont vécu cette expérience traumatisante. C’est choquant en raison notamment de leur extrême jeunesse pour certains, récemment une petite fille de 12 ans a été emprisonnée pendant quelques mois. Beaucoup d’enfants sont nés dans ces prisons. J’ai voulu raconter cette réalité dans le film. Ce rapport particulier entre cette jeune mère et son fils.
C’est vrai qu’il y a cette magnifique relation mère/fils mais il y a aussi de belles rencontres, des retournements de situation, des trahisons, des amitiés : on côtoie le meilleur et le pire dans cette prison. Qu’avez-vous voulu montrer à travers l’ensemble de ces relations humaines ?
J’ai voulu montrer la solidarité entre les femmes, entre cette communauté de prisonnières, mais aussi l’humanité et la résilience des femmes palestiniennes, ainsi que leur résistance dans les prisons israéliennes. Mais le fil conducteur, c’est l’espoir bien sûr. Malgré toute cette souffrance, l’espoir naît aussi avec Nour dont le prénom même signifie « lumière ». J’ai voulu raconter une histoire humaine qui peut toucher tout le monde. C’est un message assez universel finalement.
C’est effectivement vraiment ce qu’on ressent dans ce film, avec Nour justement, cet enfant bien nommé ; les très beaux jeux de lumière ; il y a également la thématique de l’oiseau qui est récurrente tout au long du film. Il y a vraiment cette notion d’espoir et paradoxalement de liberté alors même qu’on est dans un univers captif.
Tout à fait. Et dans le film j’ai essayé d’utiliser une esthétique poétique pour parler de tous ces drames humains. J’ai aussi dévoilé des moments de tendresse et d’humour. Il y a une scène marquante où Nour joue avec un oiseau en bois, fabriqué par un prisonnier. A un moment l’enfant s’endort et l’oiseau prend vie dans sa main. C’est très fort comme idée que le rêve est une porte vers la liberté et l’imagination.
Effectivement, ces femmes arrivent finalement à s’évader tout en étant enfermées. On ressent puissamment cette liberté, cette force, cette dignité qui émane des Palestiniens, en toute circonstance. Cependant, si on a parlé de la beauté de certaines relations, d’autres comportements sont bien plus choquants. Qu’est-ce que vous avez voulu mettre en avant à travers ces personnages ?
J’ai voulu montrer la diversité humaine tout simplement. Il y a des moments où on est forts, d’autres on en est faibles. Au sein même de la société palestinienne, tous ne sont pas irréprochables, certains ont même collaboré, trahi. Le cas du mari de Layal par exemple, qui ne comprend pas pourquoi elle insiste pour avoir son bébé dans ces conditions. Il n’est pas d’accord. Ce sont des choses qui arrivent. Toutes les idées du film sont tirées de faits réels, de récits recueillis durant mon travail approfondi d’investigation.
Du côté israélien, j’ai aussi essayé de montrer une certaine diversité. Il y a bien sûr des gardiens cruels mais en même temps des moments de solidarité et de complicité surprenants entre détenues palestiniennes et israéliennes. Le personnage de l’avocate israélienne, qui défend les prisonnières palestiniennes, dont Layal, montre aussi un autre visage et c’est capital de ne pas montrer une image binaire.
Ce film est avant tout éminemment féminin : il parle des femmes, il est fait par une femme, avec une esthétique de femme, il est produit par 3 femmes, et il raconte une histoire de femmes qu’on ne voit pas souvent dans le cinéma, des femmes palestiniennes, des femmes prisonnières. C’était important pour moi de montrer cette force des femmes, leurs luttes, leur dignité.
Vous êtes née en Jordanie, avez fait des études cinématographiques aux Etats-Unis et vous êtes installée au Liban. Vous êtes d’origine palestinienne et à la vision de ce film, on se demande si l’histoire vous touche personnellement : est-ce que certains de vos proches ont connu les prisons israéliennes ?
Comme la plupart des Palestiniens, plusieurs membres de ma famille ont été emprisonnés. Il faut savoir qu’environ 1 million de Palestiniens ont connu ce sort. Alors cette histoire me touche personnellement et j’ai vécu des moments que je décris dans le film. Par exemple il y a le massacre de Sabra et Chatila. J’étais à Beyrouth à ce moment-là et j’étais là pendant l’invasion israélienne du Liban et du siège de Beyrouth. J’ai tourné mon premier film à ce moment-là. J’ai utilisé des images d’archive dans 3000 nuits, par exemple l’échange de prisonniers et la libération des prisonniers palestiniens et libanais, ce sont des images que j’ai tournées moi-même.
Je suis un peu étonnée : vous êtes une réalisatrice reconnue et primée et vous avez à votre actif plus d’une dizaine de films. Toutefois, malgré la qualité du film, je m’étonne qu’il ne soit proposé que dans 30 salles en France. Avez-vous eu des difficultés concernant la sortie de votre film, que ce soit pour sa diffusion ou pour sa promotion ?
Oui c’est difficile de produire un film sur un sujet aussi sensible, c’est évident. On a eu des problèmes c’est sûr, le film a même été censuré à Argenteuil il y a quelques mois. C’était très arbitraire, injustifié à mon sens. Mais ça a finalement été une chance car il y a eu un élan de solidarité, beaucoup d’associations et de personnalités artistiques et politiques nous ont soutenu telles que Ken Loach – le grand réalisateur anglais -, Costa-Gavras ou encore Jack Lang. Finalement ça a été un vrai coup de pub ! Je regrette qu’on n’ait pas eu beaucoup de soutien. Certains films bénéficient d’une vraie promo et ma distributrice regrette le manque de soutien du CNC pour l’affichage mais on essaie de travailler différemment, par le biais d’associations et par le bouche à oreille. Je voyage avec le film, on fait salle comble ! Les gens se sentent concernés par ce problème, il y a des débats et je suis ravie de l’intérêt que suscite 3000 Nuits.
Quel message voulez-vous transmettre à travers votre travail de réalisatrice ?
J’essaie de montrer le côté humain, l’espoir et le quotidien des Palestiniens. Je veux montrer ce qu’on ne voit pas dans les médias qui n’exploitent que des images de violence. Je veux dépeindre les rêves, la souffrance mais aussi l’espoir du peuple palestinien et du peuple arabe en général parce que j’ai aussi fait de nombreux films au Liban. Je veux expliquer que malgré les guerres et la destruction, les gens continuent à s’attacher à leur humanité.
En tant qu’Européens, que pouvons-nous faire plus concrètement pour montrer notre soutien aux Palestiniens ?
S’opposer surtout à l’occupation et aux colonies illégales. Il faut s’intéresser à ce qui se passe en Palestine. Si les gens ont la possibilité de voyager en Palestine pour soutenir le peuple, qu’ils le fassent ! Sinon menez des actions positives en évitant certains produits fabriqués dans les colonies par exemple. Il faut informer les gens parce que cette injustice affecte tout le monde. Pour l’apartheid en Afrique du Sud, c’est la pression internationale qui a fait cesser ce régime injuste. C’est la même chose au Vietnam où il y a eu de nombreux mouvements civils et civiques. Faisons de même en Palestine. Nelson MANDELA n’avait-il pas lié les deux causes en disant « Notre liberté est incomplète sans la liberté des Palestiniens » ?
Vous l’aurez compris, on a énormément aimé le film 3000 nuits chez Imane Magazine et on vous incite à vous déplacer en masse pour le voir !